NB : Cet article est un repost d’une de nos newsletter La ChroniK EnerGIVrée datée de 2020.
Nous y voilà, déconfinés depuis une bonne semaine, nous retournant déjà vers ce confinement que d’aucuns relèguent au passé, pressés de passer au chapitre suivant. Je me plie volontiers à l’exercice du bilan, source de nombreux enseignements pour préparer la suite.
La bonne surprise de ce confinement, c’est le télétravail bien sûr.
Sous la contrainte, ce qui paraissait irréaliste devient tout d’un coup faisable, acceptable, et même efficace. Ces 8 dernières semaines ont fait mentir les chantres du présentéisme et démontrer qu’une organisation peut fonctionner à distance. Certaines entreprises prennent déjà des mesures de généralisation du télétravail telles que le groupe PSA.
Une petite révolution culturelle vient de s’opérer sous nos yeux, mine de rien. Il revient désormais à chaque organisation de trouver le bon équilibre entre présence physique et télétravail, selon la nature des métiers notamment, mais avouons qu’un bond de géant vient d’être fait sur ce sujet dont les français n’étaient pas forcément friands. Cette nouvelle façon d’organiser le travail encore en train d’éclore nécessite d’adapter les modes de fonctionnement : management des équipes, rôle du manager, développement d’un nouveau set de compétences (plus d’autonomie, plus de responsabilisation des collaborateurs, moins de contrôle, plus de confiance…) : une nouvelle écologie du travail à bâtir en somme. Voilà de quoi nourrir les feuilles de route des entreprises pour quelques temps, en toile de fond de la reprise du business.
L’incertitude s’est installée durablement dans nos vies.
Cette crise (ou ces crises, sanitaire, sociale, économique, écologique, tant elles sont toutes intimement liées) incarne tout ce que le sigle VUCA recouvre (ce terme désigne le caractère Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu du monde dans lequel nous vivons depuis quelques temps déjà). L’incertitude s’inscrit désormais au cœur de nos existences. Comment se projeter quand nos repères volent en éclat ? Quand on ne sait pas de quoi demain sera fait ? Quand on ignore à quelle date la « vie normale » reprendra ses droits si tant est qu’elle le puisse…Quand les entreprises ne peuvent que présumer – espérer ? – une reprise d’activité sans connaitre les comportements de consommation d’une nation et d’un monde qui se déconfine, à court et moyen terme. Quand nos vies deviennent somme d’hypothèses.
Nos cerveaux aiment le connu, la routine et ont donc une préférence marquée pour un fonctionnement en mode automatique. Ils sont donc plus en moins entrainés à s’adapter à cette nouvelle donne. D’où des vécus et des ressentis très différents durant le confinement, certains y trouvant de la joie, de la sérénité, une période propice à la créativité quand d’autres n’y virent que contraintes et privations de liberté et furent traversés essentiellement par des émotions de tristesse et de colère.
Mais rassurons-nous, notre cerveau est un muscle… qui se muscle. Il est possible d’apprendre à gérer l’incertitude avec les approches issues du neuro-cognitivisme par exemple. La capacité de s’adapter, de rebondir, l’agilité, la résilience… autant de soft skills à développer rapidement pour gérer le flou. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans de prochains articles.
L’injonction au changement a rythmé la fin du confinement.
Les prises de conscience sur les faiblesses voire les impasses de notre « système » sont nombreuses et chaque jour les appels au changement de modèle de société se multiplient pour encourager le tant attendu virage social et écologique : appel de N. Hulot, de Muhammad Yunus, tribune de 90 grands dirigeants, Appel commun à la reconstruction, Appel des entrepreneurs sociaux réunis dans le collectif « Nous sommes demain »…
Avec des changements déjà en marche :
- En entreprise, certaines ayant mis à profit cette période pour travailler et finaliser leur « Raison d’Etre » (Nelly Rodi, Suez…) et enclencher ou confirmer le fameux virage.
- Dans la société civile, les changements de comportements observés pendant le confinement (hausse de la consommation de produits bio, appétences pour les marques socialement responsables, circuits courts et locaux découverts sous la contrainte…) traduisant également la volonté citoyenne d’un changement de paradigme.
Le « C’était mieux avant » a cédé sa place au « Ce sera mieux demain » pour le meilleur et pour le pire. Ce changement est absolument nécessaire et je l’appelle moi aussi de mes voeux. Mais soyons vigilants : sans vision, sans « cible » – personne ne peut se targuer de savoir à quoi ressemblera ce fameux « monde de demain » – nous devons naviguer à vue sous la pression du temps et l’injonction morale. Sur ce chemin de transformation, le tâtonnement, le droit à l’erreur, l’agilité, la créativité doivent être nos meilleurs atouts, le monde de demain ne pouvant pas être un copié-collé de celui d’avant : il nous faut changer notre propre logiciel interne pour inventer des choses résolument différentes.
What’s next alors ? Que va-t-il advenir ? Fermons-nous une parenthèse ou ouvrons-nous un nouveau chapitre ?
Même sans boule de cristal, on peut se risquer à quelques conjectures concernant l’état d’esprit des collaborateurs de retour en entreprise :
- Essor de la quête de sens : ce temps de repli sur soi que fut le confinement a mis en exergue certaines incohérences de nos modes de vie, nous a contraint à revoir nos priorités et à cerner concrètement ce que l’essentiel veut dire. Où quand Maslow est plus que jamais d’actualité : assurer nos besoins physiologiques (manger, boire), de sécurité (avoir un toit et ne pas vivre dans un état de peur) et de lien social, voilà l’essentiel. En regard, bons nombres de comportements de consommation nous sont apparus comme superflus et nos implications professionnelles sujettes à questionnement. Est-ce que mon travail a du sens ? Suis-je utile à la société ? A mon entreprise ? Suis-je aligné(e) avec les valeurs de mon entreprise ? Est-ce que je me réalise dans mon travail ? Un questionnement qui n’est pas né de cette crise mais qui s’en trouvera assurément accentué.
- Et en même temps, la réalité de la crise économique gèlera sans doute certaines velléités de changement – rares seront les kamikazes professionnels à tout plaquer pour se reconvertir dans un métier qui fera sens pour eux dans les prochaines semaines.
- Sans compter la pression engendrée par le retour au travail et le souhait – compréhensible – des entreprises de vouloir « rattraper le chiffre non réalisé » ; le stress ou les peurs de perdre son emploi ; ou encore la nécessité de se soumettre à des modes de fonctionnement permettant de traverser la crise (emplois du temps adaptés, vacances écourtées, changement de périmètre métier à la suite des départs dans certaines entreprises…). Avec là-encore des conditions et des vécus très différents (enfants de retour à l’école ou pas, proches touchés par le virus ou pas, présentéisme exigé versus télétravail favorisé…).
A l’arrivée, un cocktail gagnant de stress, de peur voire d’anxiété et possiblement du désengagement, de la démotivation : la « crise de sens ».
Or motivation et engagement riment avec performance et efficacité. Il n’y a heureusement aucune fatalité et bien plutôt des manières vertueuses de sortir par le haut de cette crise de sens (qu’il ne faut pas forcément chercher à éluder d’ailleurs). J’en vois au moins deux :
- (Re)mettre l’humain au cœur des organisations
L’entreprise a un rôle essentiel à jouer dans la gestion de ladite crise, les managers en premier lieu, dans l’accompagnement des collaborateurs dans leur retour au travail : celles et ceux qui souhaitent repartir dans le « Business as usual » au pas de course risquent de s’en mordre les doigts. Au contraire, prendre le temps, quand tout nous somme de faire le contraire, aider les membres de son équipe à « décaisser émotionnellement » ce confinement et à partager les craintes liées au déconfinement s’avèrera une stratégie payante. Ne minimisons pas le « deuil » nécessaire à faire de cette période ainsi que l’étape incontournable de remobilisation des équipes autour des projets pour permettre à chacun de retrouver motivation durable et engagement pérenne dans son travail. Nous avons pris une grande leçon sur le besoin de lien social de l’humain, mettons-la en application sans attendre.
2. La RSE* comme boussole du déconfinement
Au terme responsabilité, je préfère le mot d’« engagement(s) », de missions de l’entreprise, aux connotations plus positives (moins d’injonction, plus de motivation). Prendre le temps, maintenant, de travailler en profondeur sur la raison d’être de l’entreprise, entreprendre le virage social et environnemental de son business m’apparait comme une stratégie payante de sortie de crise. De nombreuses voies disent la même chose : selon la ministre Elisabeth Borne « la transition écologique (est) la meilleure stratégie de sortie de crise ».
Si l’on regarde les entreprises aujourd’hui citées comme modèles de réussite d’entreprises dites engagées / à impact positif / à mission, nombreuses sont celles à s’être réinventées en profondeur dans des moments de difficultés économiques, comme l’entreprise Pocheco ou la Camif. Car là encore, ce sont des contraintes que naissent les opportunités. Quand il n’y a plus le choix de faire autrement.
C’est donc paradoxalement dans des moments de « crise » que l’engagement social et environnemental d’une entreprise prend tout son sens : en proposant une vision long-terme co-construite avec l’ensemble des parties-prenantes et traduite en objectifs concrets, en fédérant les collaborateurs autour de projets utiles et porteurs de sens faisant appel à de nouvelles énergies, des talents « en sommeil » pas toujours mobilisés dans leur métier.
Attention, je n’encourage pas ici au greenwashing mais à une démarche collective et profonde, à 360° pour définir la raison d’être de l’entreprise : cette approche permettra effectivement de re-mobiliser et re-fédérer autour d’une mission commune. Il faut pour cela revenir aux racines des organisations, se replonger dans leur passé pour inventer l’avenir. Partout où cette démarche a été appliquée, les bénéfices sur l’engagement des collaborateurs, leur motivation et même leur fidélisation à l’entreprise ont été au rendez-vous. Ces démarches sont généralement longues, cela ne doit pas effrayer les amateurs de ROI court. Retrouver le temps long est également un des enseignements de cette crise.
Au delà de la quête de sens, il s’agit de faire des choix économiques payants sur le long-terme.
Investir sur l’humain et engager son entreprise dans une transformation porteuse de sens me semblent remplir ces critères.
D’ailleurs, l’engagement social et environnemental d’une entreprise implique de remettre l’humain au cœur. Ces deux mesures n’en sont donc qu’une seule d’où le titre de cet article 🙂
Mathilde
* RSE : Responsabilité Sociale et Environnementale de l’entreprise