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Crédit photo : photo issue d’un article du Figaro de Pierre-Yves Dugua, publié le 28 avril 2020 – https://www.lefigaro.fr/conjoncture/a-cause-du-

NB : Cet article est un repost d’une de nos newsletter La ChroniK EnerGIVrée datée de 2021.

Je suis tombée il y a quelques jours sur cet article faisant état d’un possible risque de pénurie de viande aux Etats-Unis en raison de la fermeture des abattoirs dont le personnel était atteint par le COVID 19. Sage décision, nous dirons-nous.

Ce risque de pénurie m’a immédiatement renvoyé à une situation similaire déjà vécue par l’un des pays les plus consommateurs de viande au monde (les américains consomment en moyenne 100 kg de viande par personne et par an, là où les français en consomment la moitié* par exemple).

Replongeons-nous dans les années 1940 : seconde guerre mondiale, usines qui tournent au ralenti faute de main d’œuvre (Mesdames nous n’avions pas encore accès au monde du travail – sic –et ces messieurs étaient alors largement enrôlés dans l’armée). >> Résultat : une raréfaction des morceaux de viande dits « nobles ». Une opération gouvernementale de communication fut lancée pour inciter les américains à se tourner vers des morceaux moins nobles, à savoir les abats.

C’est à cette occasion que « l’effet de gel » fut mis à jour par Kurt Lewin.

L’effet de gel qu’est-ce que c’est ?

L’effet de gel désigne le fait que l’individu adhère d’autant plus à une solution qu’il l’a trouvé tout seul, ou qu’il a le sentiment de l’avoir fait. En élaborant lui-même sa solution, il la fixe dans son cerveau, la « gèle ». Une solution qui lui est apportée sur un plateau ne se fixe pas du tout de la même manière et nous allons voir pourquoi dans l’expérience conduite par Kurt Lewin.

Retour à nos moutons…ou nos bovins. Bref. Rappelez-vous l’objectif du gouvernement : faire consommer des abats par la population américaine.

Une première tentative consista à organiser dans le pays des conférences visant à démontrer les bienfaits des abats, faits scientifiques à l’appui et recettes de cuisine en prime pour booster la créativité des ménagères. Le maitre parle sur l’estrade, les élèves écoutent dans la salle, set-up classique d’une approche cognitive top-down.

A coup d’arguments et de tentatives de persuasion, la gente féminine repartit certes convaincue des bienfaits des abats mais pas pour autant engagée dans l’action comme le prouvèrent les résultats : seules 3% des femmes se mit à cuisiner lesdites sources de protéines animales.

Maigre moisson me direz-vous.

Kurt Lewin eut alors l’idée d’envoyer non pas des conférenciers parler aux femmes mais des animateurs

Lesdits animateurs organisèrent des tables rondes (ah le principe de circularité, nous y reviendrons), distillèrent les mêmes arguments et les mêmes recettes que dans la première tentative mais cette fois, ils libérèrent la parole des femmes qui purent échanger, partager leurs craintes, leurs hésitations, leurs « tips de housewives » et donc commencer à trouver leurs propres solutions par elles-mêmes.

En procédant ainsi, on commence à créer dans notre cerveau le chemin neuronal correspondant à un nouveau comportement : la probabilité que notre cerveau emprunte à nouveau ce chemin est largement accrue de par l’existence même de ce chemin. (Dans la première tentative décrite ci-dessus, le « chemin » n’a pas été créé en séance par les conférenciers.)

Second fait notoire, les animateurs demandèrent aux femmes avant de partir lesquelles d’entre elles étaient réellement prêtes à cuisiner les abats en levant la main devant leurs consoeurs.

Ce geste pourtant si anodin est le symbole de l’engagement.

En admettant devant mes pairs que je vais faire quelque chose, je m’engage d’autant plus à le faire que je me verrouille vis-à-vis de mon propre système de valeurs. Mon désengagement est d’autant plus difficile ensuite.

En procédant ainsi, il y eut non plus 3% mais 32% de femmes qui se mirent à cuisiner les abats.

Les esprits chagrins me diront que cela n’est qu’un tiers d’une population cible, certes, mais c’est 10 fois plus qu’avec une méthode bien connue de pure descente d’informations.

Cette théorie de l’engagement** est au cœur de mes ateliers Planète Wake Me Up , entre autres : le changement est un mécanisme séquentiel, qui s’accompagne, si tant est qu’on le veuille réel et durable.

Cette crise sanitaire et la crainte de pénuries alimentaires futures devraient nous amener à repenser notamment notre alimentation, source de bien-être et de santé d’une part et d’impacts substantiels sur les gaz à effet de serre d’autre part (et donc sur le changement climatique) selon ce que l’on choisit d’y mettre.

Les Etats-Unis pourraient par exemple saisir ce moment pour conduire une expérience similaire à celle des années 1940 et tenter d’infléchir la consommation de viande américaine pour aller vers une alimentation plus végétale. Malheureusement, ce n’est visiblement par la trajectoire suivie par le président Trump comme le laisse entendre l’article.

Peu importe, le reste du monde peut s’y mettre, à commencer par nous français, chacun à notre niveau.

Changer nos comportements alimentaires constitue une part non négligeable de la réduction de l’empreinte environnementale individuelle telle que calculée par Carbone 4 dans son étude « Faire sa part » (vidéo explicative ici) : en passant d’un régime riche en protéines animales (viandes et poissons) à un régime végétarien, on peut réduire notre empreinte environnementale d’environ 10%. Un changement utile et impactant mais pas forcément facile à opérer pour tout le monde.

Utiliser l’effet de gel pour conduire la transition agricole pourrait servir à l’école où il y a fort à faire en matière d’alimentation (n’est-ce pas Ourdia Leroy ?), en entreprise pour repenser l’offre de restauration collective et à tout un chacun pour adapter son régime alimentaire.

Et bien sûr, au delà de l’alimentation, pour engager un changement réel de comportement, utiliser les apprentissages de l’expérience de Kurt Lewin peut nous permettre de maximiser nos chances d’obtenir les changements espérés. Cette crise ayant mis en lumière le nécessaire changement de modèle de nos sociétés modernes, gageons que l’effet de gel n’a pas fini de nous être utile.

 

Mathilde

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*Etude CREDOC – données de 2016

** L’effet de gel a été notamment expliqué par les Dr Joule et Beauvois dans leur ouvrage « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens »

Si le sujet vous intéresse, l’article que j’ai lu est ici.